Force de caractère et fine pâtisserie
Arrivé au Canada du Cambodge en janvier 1981, à l’âge de 16 ans, avec ses parents et sans le sou, il di- rige aujourd’hui la pâtisserie fine la plus connue en Outaouais : Fidélice, une entreprise qui ne cesse de croître et qui célèbre ses 20 ans. Rasmey You a trimé dur, c’est le moins que l’on puisse dire. « Je suis arrivé avec zéro cent. Je n’avais même pas de pantalon quand je suis arrivé ici. »
Avec sa conjointe Anne Chabot, M. You a ouvert Fidélice en octobre 1989 dans des locaux loués du boulevard Saint-René. Une succursale dans le secteur Hull est venue s’ajouter quelques années plus tard.
En 2004, la pâtisserie a déménagé ses fourneaux dans son propre immeuble flambant neuf, au 625 bou- levard La Gappe. Et l’an dernier, des travaux d’agrandissement de 800 000 $ ont permis de doubler la superficie de Fidélice de 5000 à 10 000 pieds carrés. L’entreprise compte une cinquantaine d’employés.
« On est rentable et on est toujours en expansion. On a agrandi dans le but d’ouvrir d’autres magasins », explique l’homme d’affaires de 45 ans, qui a dans sa mire le quartier du Plateau, secteur Hull. « Pour le moment, c’est Le Plateau et peut-être un jour Ottawa. »
Fidélice vend aussi ses produits par l’entremise de comptoirs dans des magasins et des boucheries de la région.
M. You et sa famille ont fui le régime sanguinaire de Pol Pot, responsable d’un génocide lors de son règne de terreur, entre 1975 et 1979. Le régime aurait fait entre 1,7 million à 3 millions de victimes au Cambodge. « J’ai vécu la guerre sous le régime des Khmers rouges. J’ai perdu des cousins, des cous- ines, des oncles, des tantes. C’est plus d’une centaine de personnes de ma famille qui ont été tuées. Avant je n’étais pas capable de parler de cela, mais ça devient maintenant plus naturel. »
En 1979, les You se sauvent en Thaïlande où ils font des demandes pour obtenir le statut de réfugié au Canada et en France. Le Canada accepte et ils arrivent à Montréal en 1981. Rasmey a dû refaire une bonne partie de son niveau élémentaire et apprendre le français, car les Khmers rouges avaient fermé de nombreuses écoles du Cambodge. Il reprend donc ses études tout en travaillant comme plongeur dans des restaurants de Montréal.
À la sueur de son front, il a économisé. Il a tou- jours su qu’il serait un jour entrepreneur.
« J’ai toujours voulu partir en affaires. Ç’aurait pu être autre chose, comme un magasin de chaussures, parce qu’à l’époque, je ne connais- sais rien de la pâtisserie, rien du beurre, ni de la crème. »
C’est en donnant un coup de main aux pâtis- siers que ces derniers ont découvert son poten- tiel. Autodidacte, il a aussi suivi des formations ici et là. Il devient par la suite stagiaire à la pâ- tisserie bien connue de Montréal, La Gacogne.
Il y rencontre en 1987 sa future conjointe, Anne Chabot, originaire de l’Outaouais, une diplômée de l’Université Laval en biochimie et de l’Institut du tourisme et de l’hôtellerie à Montréal.
« Anne a voulu renouer avec ses amours. Elle a toujours aimé faire de la pâtisserie. Je cherchais un partenaire pour partir en affaires et c’est comme ça que tout a commencé. Si on en est rendu là, c’est aussi grâce à elle parce que tout seul, ce n’aurait pas été facile. »
En 1989, il suit donc Anne de retour dans sa région. Le 27 octobre de la même année, le couple ouvre Fidélice boulevard Saint-René à Gatineau.
Au début, les heures sont longues. Il donne l’exemple de certains week-ends, où il commençait vers 5h le vendredi, pour finir à 17 h le samedi : 36 heures de travail en ligne.« Je ne dormais pas. J’étais vrai- ment motivé quand je suis arrivé au Canada et que j’ai vu le potentiel. Chez nous, au Cambodge, on nous tuait pour pas grand-chose. On n’avait rien à manger. »
Sans dire que les Canadiens sont trop gâtés, Rasmey You affirme que c’est tout simplement comme ça, car ils n’ont jamais connu les horreurs et les privations de certains pays.